LE PORTRAIT. Un an après, l’égérie des Manifs pour Tous, Frigide Barjot, redémarre à zéro.
Le moindre bout de table croule sous les journaux, les dossiers, les affiches. La pièce sert de bureau à Frigide Barjot – un pseudonyme, bien sûr – mais aussi de boudoir et de studio presse. Peut-être même de chapelle, avec ces statuettes de la Vierge qui veillent sur elle. Sur les cartons qui s’empilent, la mention «Manif pour Tous» renvoie à l’année dernière quand, de janvier à mai, le pays a vécu au rythme des grands cortèges de rue contre le mariage homosexuel. «Un rassemblement unique du peuple de France», continue de s’enthousiasmer l’égérie du mouvement qui garde en tête «l’atmosphère de fraternité et de bonheur» de ces journées-là. Les manifestations ne partent pas de rien. Dans «Qui suis-je pour juger ?», Frigide Barjot raconte comment, dès 2011, elle perçoit l’attente d’une partie de la population : «Pour présenter Confessions d’une catho branchée, j’avais parcouru la France, toujours hébergée chez des particuliers. Des familles chrétiennes qui transmettent leurs valeurs de génération en génération, sans faire de bruit. Elles avaient le sentiment de ne pas être représentées. Je sentais leur inquiétude pour l’avenir des enfants».
Plus d’un an avant les manifs, elle lance sur internet une déclaration appelant à remettre l’humain au cœur de la politique et à promouvoir «l’accueil de l’humain le plus faible». Puis demande aux candidats à la présidentielle de s’engager «pour la famille durable. Alors qu’elle a soutenu Ségolène Royal cinq ans plus tôt, face au programme «de bouleversement sociétal de François Hollande», elle choisit Nicolas Sarkozy en 2012. Et dès l’élection du candidat socialiste lance «la résistance sur Facebook».
On connait la suite, «le catho land», comme Frigide Barjot l’appelle va mobiliser «depuis des chrétiens de gauche jusqu’à très à droite. Et puis des protestants, des juifs et des musulmans». Chroniqueuse télé, communicante, elle n’a pas de réseau personnel. C’est un atout et une faiblesse. Très vite, elle devine les risque que la mobilisation soit «confisquée par les religieux fondamentalistes, les ultras. Dès fin 2012, on préparait déjà mon éviction et ma mise à l’écart». Un an après les grandes manifs, de fait, celle qui incarnait la protestation a dû se résoudre à créer une nouvelle association, l’Avenir pour Tous.
Son image de «catho branchée et déjantée» a peut-être fait peur. Son parcours de fêtarde colle mal avec ce qu’elle est aussi et surtout : une femme qui, pré-ado, a souffert de voir le couple de ses parents se déchirer. Qui a redécouvert la foi en fréquentant Notre-Dame de Paris, s’est sentie appelée par les paroles du Cardinal Lustiger, de Jean-Paul II, Benoît XVI et François – au point de lancer «Touche pas à mon Pape» en 2009 et de devenir fan de Lourdes et des Journées mondiales de la jeunesse.
Avec l’Avenir pour Tous, Frigide Barjot ne demande pas l’abrogation de la loi Taubira, mais sa révision «profonde» pour réserver le mariage aux hommes et aux femmes. Tout en ouvrant la possibilité d’une union civile égale en mairie entre homosexuels – ce que refusent ses anciens amis.
L’ancienne porte-parole se réclame à part égale de son enracinement dans la foi et de l’héritage républicain. Mariée et maman de deux adolescents, elle se sent «coincée» entre les jusqu’au-boutistes des deux bords. Dans la bataille, elle a beaucoup perdu : «Mes revenus, mon appartement, mes amis gays, mes endroits préférés de la nuit». Mais elle y a gagné l’arrachement qui la lie aux Français, «une affection populaire et réciproque». «Pendant les manifs et depuis, partout dans la rue, je n’ai rencontré que signes de gratitude et d’amitié… Aujourd’hui, cette relation est intacte. L’accusation d’homophobie en moins.»