« J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt le discours de Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot, lors de sa venue à Nantes le 24 mars 2015. J’y découvre le déploiement d’une logique que je considère comme profondément catholique et je voudrais vous présenter ce que j’estime en être la cohérence à la fois politique et spirituelle.
Une logique politique d’abord. Le succès du mouvement de 2013 a surpris tout le monde y compris ses organisateurs et beaucoup a été dit sur cette « divine surprise » qui a laissé sans voix les commentateurs politiques, médiatiques et sociétaux, prisonniers de leurs schémas mentaux frappés d’incapacité herméneutique face à un évènement de portée spirituelle. Comme ils ont été incapables 25 ans plus tôt de décrypter ce qu’avait d’apocalyptique la chute du Mur de Berlin, bien vite récupérée sans autre analyse par le consumérisme mondialisé, sans que les chrétiens de l’Ouest y trouvent grand’chose à redire.
Dans un cas comme dans l’autre, les catholiques ont été incapables de tirer des leçons politiques d’évènements majeurs où ils ont pourtant eus une part essentielle. Ce que nous voyons se déployer comme conséquence des manifestations de 2013 est la confiscation par les lobbies catholiques militant pour le respect de la vie d’un mouvement par nature beaucoup plus vaste qui a su rassembler, en grande partie par l’énergie et le talent de Virginie Tellenne, la major pars de la société civile non pas contre l’union homosexuelle mais contre l’abandon programmé de la filiation biologique. Dès l’origine du mouvement, Virginie Tellenne et Xavier Bongibault ont insisté sur l’accueil des personnes homosexuelles et la nécessité de leur octroyer un contrat d’union civile. Voilà un élément clé du succès de 2013 : l’émission d’un message de paix civile dans le but d’obtenir le plus grand rassemblement pour empêcher la dénaturation du mariage.
Qu’observons-nous depuis l’éviction de Virginie Tellenne et Xavier Bongibault lors de la grande manifestation de mai 2013 ? La prise de pouvoir de la Manif Pour Tous par les lobbies catholiques qui imposent à LMPT une ligne abolitionniste de la loi Taubira sans contrat d’union civile. On entre alors dans un rapport de force qui n’a aucune chance d’aboutir à une victoire pour plusieurs raisons :
- Perte du soutien de la part laïque de la société civile.
- Isolement des catholiques dont le message reste imperméable à une grande part de ladite société, les catholiques cumulant la double tare d’apparaître comme critiques de la modernité, éventuellement défiants à l’égard de la République, et affectés du critère disqualifiant de « religieux ».
- Perte des relais politiques. On voit bien que les catholiques dispersent leur action politique faute d’avoir pris en compte prioritairement le bien commun essentiel que représente la filiation biologique. Le respect de la vie tous azimut – en soi un bien à défendre avec toute l’énergie nécessaire – doit être décliné avec un ordre de priorité dont la filiation biologique est le premier maillon. Si l’on regarde les signataires de la charte pour l’abrogation, on constate que les candidats FN sont les plus nombreux. Et que penser de la stratégie d’entrisme de Sens commun, sinon qu’après avoir arraché des lèvres du candidat Sarkozy le mot d’abrogation, ils ont eux-mêmes neutralisé son très hypothétique désir de réforme en exigeant de lui une ligne politique maximaliste qu’il sera incapable d’imposer à son parti. Le sondage effectué par LMPT de sa propre initiative a d’ailleurs montré que même parmi ses militants, l’amendement de la loi et non son abrogation était majoritaire.
- Logique d’affrontement. La réalité est que la dialectique lobbyiste mène à un affrontement idéologique stérile et qu’il faut en revenir, comme toujours, à une union forcément trinitaire et non pas duelle. C’est-à-dire restaurer la place de la société civile en écoutant sa double demande de paix sociale et de préservation de la filiation biologique. En toute action politique, le facteur temps est primordial ; le pape François le rappelle dans Evangelii gaudium : « Il y a une tension bipolaire entre la plénitude et la limite. La plénitude provoque la volonté de tout posséder, et la limite est le mur qui se met devant nous. Le temps, considéré au sens large, fait référence à la plénitude comme expression de l’horizon qui s’ouvre devant nous, et le moment est une expression de la limite qui se vit dans un espace délimité». Et le pape poursuit : « Face à un conflit, certains regardent simplement celui-ci et passent devant comme si de rien n’était, ils s’en lavent les mains pour pouvoir continuer leur vie. D’autres entrent dans le conflit de telle manière qu’ils en restent prisonniers, perdent l’horizon, projettent sur les institutions leurs propres confusions et insatisfactions, de sorte que l’unité devient impossible. Mais il y a une troisième voie, la mieux adaptée, de se situer face à un conflit. C’est d’accepter de supporter le conflit, de le résoudre et de le transformer en un maillon d’un nouveau processus. « Bienheureux les artisans de paix ! » La constitutionnalisation du mariage comme l’union d’un homme et d’une femme est la première réponse, conforme au vœu du pape, au double problème du respect de la vie et du maintien de la paix sociale. Une première marche dans une stratégie de long terme. C’est donc donner raison à Virginie Tellenne.
Une logique spirituelle, surtout. Il est hors de question de remettre en cause le bien commun supérieur du respect de la vie et de la filiation biologique défendu par l’Eglise depuis ses origines ( et par les Saintes Ecritures dès avant l’Incarnation ). La position du « catholicisme intransigeant » doit être soutenue avec détermination : ce peut être le rôle des lobbies catholiques. Mais on ne peut mettre en avant la défense du dogme en omettant la pratique de la vertu de charité. Le catholicisme intransigeant se trouve dans l’obligation d’écouter l’appel du pape François à un changement de perspective dans la pastorale d’évangélisation et à harmoniser la défense de la vérité avec l’obligation d’annoncer l’Evangile. La cible : « les périphéries existentielles » où les catholiques ne se rendent pas spontanément ; l’exemple des homosexuels le manifeste assez. Moi le premier, je me sens désarmé pour les rencontrer alors que François nous y presse. Il nous faut donc, pour aborder ces périphéries, repartir du message simple du kérygme : « Jésus a donné sa vie par amour pour les pécheurs ; pour eux ( nous ) Il est mort et ressuscité », et non pas de la présentation intégrale du dogme qui viendra secondairement, après la première annonce. Le pape François observe que c’est par manque de charité que l’homme se dépolitise, preuve s’il en faut de son attention à l’engagement de service politique. Dans la logique trinitaire qui doit être la nôtre, considérons le rôle inouï dévolu aux chrétiens de ce début de millénaire dans la société de la décadence post-moderne:
- Eux seuls peuvent réconcilier une République qui se veut laïque avec la vraie laïcité qui conditionne sa survie même. Et redonner consistance au politique.
- Eux seuls peuvent aider un islam qui se dévoie à apprivoiser une modernité fondée sur la liberté religieuse.
- Eux seuls peuvent retisser un lien social détruit par le nihilisme, le transhumanisme, l’ultralibéralisme par l’alchimie miraculeuse de la charité.
- Eux seuls sont capables d’allier l’exigence de vérité du catholicisme et l’exigence de fraternité vécue dans la charité politique.
Personne ne le fera à notre place. N’est-ce pas là une mission exaltante ? Signe des temps : le pape demande que 2016 soit l’année de la miséricorde. Nous y manquerons collectivement si, chrétiens, nous ratons, au nom d’hommeries innommables, le grand rendez-vous de la réconciliation et de l’union, pour le bien politique de la société tout entière. »
Emmanuel Tranchant,
Ex-directeur des Cours Charlier
Président du Cercle Jean-Paul II