Lettre ouverte aux manifestants des manifs pour tous du printemps 2013
par Frigide Barjot
Mes si chers et si courageux amis,
La division qui abîme actuellement le mouvement historique que fut « La Manif Pour Tous » vous navre et vous démobilise. Je vous comprends et en souffre autant que vous, affectivement, moralement et matériellement..
Vous êtes nombreux à y voir une querelle de personnes. Ce n’est en aucune façon le cas : les différends qui nous opposent avec Ludovine de la Rochère depuis le vote de la loi apparaissent encore plus clairement maintenant que la loi s’applique.
Je ne peux vous les cacher plus longtemps, et avec Xavier Bongibault et Laurence Tcheng, nous viendrons jusque dans vos villes vous exposer notre programme de réforme de la loi Taubira et répondre à toutes vos questions. Depuis tout ce temps de séparation et de silence, vous avez le droit de savoir !
Nos différends portent essentiellement sur :
– notre vision de la société
– notre message politique de fond
– notre conduite à tenir du mouvement
Tout se résume à l’acceptation des conséquences de la loi Taubira en ce qu’elle concerne les droits d’union des couples homosexuels, improprement appelés « mariage », que la société française a voulus à plus de 55% des citoyens. Ils étaient sensiblement le même nombre à ne pas vouloir de l’adoption, c’est-à-dire un changement de filiation, par les couples de même sexe. Comme moi et tous ceux qui me suivaient hier et encore aujourd’hui.
Comme la majorité des Français, je souhaite donc – et l’abrogation de la loi Taubira en ce qui concerne l’adoption, donc la filiation, – et la préservation des droits d’union hors de la loi Taubira.
Le différend de fond avec Ludovine de la Rochère porte donc sur le fait que, dès le vote de la loi dans l’annonce de l’abrogation, je souhaitais et souhaite depuis expliciter qu’il faut maintenir les droits d’union en remplaçant le « mariage » entre personnes de même sexe par une Union Civile qui leur sera réservée et qui comportera les mêmes droits et devoirs que le mariage HF, hors la filiation.
Mais je me bats en priorité pour que la filiation redevienne uniquement biologique, issue des géniteurs père et mère, connus des enfants : je propose que ce principe intangible soit sécurisé par une réforme de la Constitution votée par référendum. Ce point aussi fait clivage avec Ludovine de la Rochère.
Telle est ma position globale sur notre mouvement depuis la première manif du 17 novembre 2012. Cette position supposant la reconnaissance de l’Union Civile a été explicitement annoncée et acceptée par tous les organisateurs des premières manifs – sauf un – de septembre 2012 jusqu’au vote de la loi. Notre slogan commun et universel « Tous nés d’un homme et d’une femme » en est la meilleure des preuves : notre combat commun porte sur la filiation, pas sur le couple homosexuel qui est. D’ailleurs, le fait que le mouvement ait été aussi bien mené par des homosexuels et des gens de gauche que des catholiques « de droite » a persuadé tous les Français, qui ont alors afflué 3 x 1 million dans nos cortèges, que le couple homosexuel n’était en aucun cas discriminé face au couple homme-femme par la demande de retrait du projet de loi Taubira.Ainsi, la présomption d’homophobie que le gouvernement tentait de nous imposer a volé en éclats.
Depuis le vote de la loi, ceux qui sont devenus les dirigeants actuels de LMPT ont déclaré, plus ou moins clairement, notamment en excluant de fait et de droit les porteurs de l’Union civile de la nouvelle organisation, leur hostilité à cette mesure de conservation des droits d’union acquis par les couples de même sexe, car ils pensent – mais ne me l’avaient jamais dit explicitement à part l’un d’entre eux – que la vie affective des homosexuels doit rester dans le domaine privé et ne peut recevoir de « consécration » officielle.
La solution qu’ils préconisent d’une abrogation non rétroactive sans solution de remplacement aboutirait à voir coexister dans le temps des couples homos mariés et des couples homos sans aucun droit autre que le PACS, qui est un contrat indifférencié selon les couples, fondant la loi du Genre, et dissout par simple répudiation.
Or, pour moi, comme pour la majorité des Français, moralement et humainement, ce retour total sur la reconnaissance du couple homosexuel en rejetant l’union civile n’’est pas négociable : il n’est pas possible de supprimer aux personnes homosexuelles le cadre légal dans lequel s’engager pour une relation durable plutôt que de rester dans une vie dispersée et solitaire. De plus, cette suppression de l’union civile signe politiquement toute impossibilité de retour à la filiation biologique.
Politiquement toujours, le nouveau programme de la Manif pour Tous-maintenue recentré sur la famille sans proposition pour les couples homos et élargies à de multiples autres demandes noyant l’abrogation de la loi Taubira, ne correspond plus au contrat moral que j’ai passé avec les Français. Je leur ai promis sur tous les médias généralistes de restaurer le mariage HF, la filiation biologique, et de lutter contre la PMA et la GPA dans le respect des couples homosexuels. Aussi toute autre demande ou action se situera en dehors du champs d’intervention que je me suis fixé, et dont l’unicité, la permanence et la cohérence sont, pour moi, sources d’efficacité et garantie de ne poursuivre aucun autre objectif électoraliste.
Pour autant, allons-nous rester sur ce constat de séparation idéologique et politique ? Toute sorte de demandes de médiation ont déjà été entreprises par les uns et par les autres, et le protocole d’accord que nous avons proposé le 22 octobre dernier n’a donné lieu à aucune suite à part un contre-protocole en date du 6 novembre qui n’aborde aucun des sujets exposés ci-dessus, et dont nous attendons toujours un retour.
Je sais que seul le programme que je vous propose depuis plus d’un an ne suffit pas si, comme avant le vote de la loi, nous ne sommes pas extrêmement nombreux pour le porter; aussi, toujours dans mon souci d’aboutir avec vous tous qui, sur le terrain, vous êtes donnés sans compter,
Je prends cette initiative , sur la base programmatique de la reconnaissance des couples homosexuels à hauteur du couple homme-femme hors filiation, et d’une action seulement fondée sur le rejet d’un programme et non d’hommes et de femmes politiques, de proposer aujourd’hui solennellement à Ludovine et à son équipe d’’envisager de confier votre espoir à une équipe de professionnels de la Médiation.
Nous avons construit notre mouvement dans la tempête et l’amitié. Il était beau mais fragile. Il faut maintenant en rebâtir les fondations sur le roc et en vérité . J’’y suis résolue. Je sais que vous aussi.
On ne lâchera personne, surtout pas vous !
Frigide Barjot